T'es là, tu bois. Mais tu sais même plus pourquoi. T'as oublié. T'es complètement perdue, paumée. Ca rime plus à rien tout ça. Tu le sais, t'en as conscience. Mais c'est un cercle vicieux. T'arrives plus à t'en sortir. T'as mal au cœur, t'as envie de gerber. T'as plus les pieds sur terre, c'est comme si t'avais plus conscience du monde qui t'entoure. Tu te dis que c'est l'alcool. Ou peut-être le joint que t'as fumé après les cours. Franchement, tu t'en fous. Ca n'a plus vraiment d'importance. T'as l'impression de crever en permanence. C'est peut-être la faim qui te tiraille. Ou la fin. Laquelle des deux? Tu saurais même pas répondre à cette question si on te la posait. T'as mal au cœur en permanence. T'enchaînes les conneries pour te sentir vivante. T'es là avec ton whisky bon marché, encore un verre ou deux et tu seras en train de vomir dans les toilettes miteux de ce bar. Si ton frère te voyait, il comprendrait pas. Il irait sans doute casser la gueule au mec qui a accepté de te servir de l'alcool alors que t'as que seize ans.
Tu lui dis pas, tu fermes ta gueule mais tu lui en veux. Il s'est cassé, il t'a laissé. Il vit avec Cody, avec des tas des gens que tu connais pour la plupart. Toi t'es la sœur un peu casse-couille qui se ramène un vendredi soir pour dire bonsoir à son frère. En fait, t'y vas souvent pour Cody. Juste pour la voir, l'apercevoir, l'entrevoir. Tu donnerais tout pour un regard de sa part. Au début, tu pensais que c'était normal. Vous vous connaissez depuis toujours. Mais maintenant que t'es raide dingue de ses yeux, tu sais que c'est pas normal, qu'il y a un problème quelque part. Mais t'es incapable de mettre le doigt dessus. Alors tu bois. Tu bois à la santé de tes défauts, à la santé des idéaux de beauté que t'atteindras jamais, à tes kilos imaginaires. T'es une épave, tu le sais. Tu le sens. Mais t'es foutue. Tu te laisses faire. Tu te laisses couler. T'as jamais été une très bonne nageuse. T'as toujours eu peur des profondeurs. T'es une aventurière mais t'as souvent peur pour pas grand-chose. T'essaies de pas le montrer. Mais ce soir t'as plus la force de lutter. Alors tu laisses l'alcool glisser dans ta gorge et te réchauffer un peu. C'est qu'il fait froid, mille mètres plus bas.  

T'as mal au cœur, t'as envie de chialer. L'alcool te monte à la tête aussi vite que les larmes aux yeux. Mais tu dis rien, tu te caches derrière ce sourire charmeur, enjôleur, celui qui fait tourner des têtes. Mais pas la sienne. Elle te regarde jamais. Pas comme t'aimerais. Y'a jamais eu de désir dans son regard. Que de l'amitié. T'es qu'une gamine à ses yeux. T'as jamais rien d'autre qu'une gamine. C'est vrai, t'as que seize ans. Tu peux pas lui en vouloir. Tu vas peut-être sur tes dix-sept ans, tu fais peut-être plus que ton âge, t'es sans doute plus mature que les autres mais ça n'empêche qu'à ses yeux, t'es une gamine. Un enfant qu'elle connaît depuis des années. Qu'elle a vu grandir. Et puis t'es pas aveugle. Tu sais bien qu'elle en pince pour ton frère aîné. Et ça, ça te tue un peu plus. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. T'aimerais trouver l'idiot qui a pu dire ça un jour. Tu baisses les yeux, t'observes ton verre. Tu finis par le boire cul-sec et t'en recommandes un autre. Tu donnerais tout pour arrêter de penser à elle.  
T'as envie de vomir en permanence. T'as un poids sur les épaules, sur le cœur et sur l'estomac. Ca te lâche pas, jamais. T'as aucun répit. Tu restes là plantée à rien faire, à souffrir en silence. Parce que t'es incapable de te battre. T'es vidée. T'as plus de force. T'abandonnes. T'as honte mais c'est comme ça. Tu te fais doucement à l'idée que t'es foutue. Parfois tu te surprends à penser que t'atteindras jamais la majorité. T'as des rêves plein la tête mais ça rime plus à rien. T'es comme tous les autres, tu fais pas exception. Pour réussir, faut le vouloir. Et toi t'es plus certaine de vouloir grand-chose.  Quand le barman te sert, tu lui souris doucement. Tu sors une clope. T'as pas le droit fumer normalement. Mais t'as pas non plus envie de te les peler dehors. T'es pas assez habillée pour ça. Alors tu t'allumes, tu portes le filtre à tes lèvres et tu tires. Tu tires la plus grande et grosse latte qui soit. Juste pour sentir la fumée s'infiltrer, te gâcher un peu plus la vie.
T'es perdue dans tes pensées. Tu fais attention à personne d'autre qu'à toi-même. Alors quand on pose une main sur ton épaules, tu sursautes. Et quand tu vois Cody, t'as littéralement l'impression de crever. Mais tu laisses rien paraître. Tu lui souris. Lui montre pas que t'es brisée Gracie. Elle te sourit et elle s'installe, sans vraiment te demander ton avis. Mais ça te gêne pas, comment ça pourrait ? Elle est tellement belle. "Salut toi. Qu'est-ce que tu fais là?" Tu l'observes un moment sans vraiment savoir quoi répondre. Elle le répétera pas à Jay, t'en es presque certaine. Elle est pas comme ça Cody. Tu tires sur ta clope une seconde fois. Tu meurs un peu plus à chaque latte. "Je bois, je me détends, j'oublie." Tu bois une gorgée, laissant l'alcool se déverser dans ton corps trop frêle. "Tu vas rien dire à Jay, hein ?" T'as pas vraiment l'air inquiète. T'essaies juste de t'en assurer. T'as pas envie qu'il sache. Il te croit sans doute à la maison, en train de réviser. Pas dans un bar à boire de l'alcool trop fort et à fumer des clopes. Si il savait. Mais quand est-ce que t'es devenue comme ça ?

Tu sais pas ce qui s'est passé. Tu sais pas pourquoi t'es devenue comme ça. Un déchet ambulant. L'alcool, les clopes, tout ça c'était exceptionnel. Et puis c'est devenu une habitude. Y'a pas un soir sans que tu te retrouves torchée, pas un matin sans gueule de bois. Pourtant, tu gardes la même moyenne. Tu montres pas aux autres que t'es devenue une moins que rien. T'as pas envie que ça se sache. T'as pas envie qu'on te prenne en pitié, qu'on te déteste. T'as pas envie de dégoûter. Tu veux rester Grace, celle que les autres admirent, celle que les autres jalousent parfois. On te croit parfaite mais tu l'es pas. T'es bourrée de défauts. Des défauts que t'essaies de gommer mais t'y arrives pas. T'y arrives plus. T'en as marre de faire semblant, ça te fatigue tout ça. Mais tu sais même plus ce que te fatigue le plus. Tes parents, Jay, tes amis, l'alcool, les clopes, les joints, la drogue, la nourriture ou l'aimer elle ? Tellement des choses qui ne vont pas, qui ne vont plus.  
"Oublier?" Oublier quoi ? T'en sais trop rien. C'est un mélange. Y'a un peu de tout. T'as envie de l'oublier elle, oublier le départ de Jay, oublier l'attente parental, oublier tes rêves à la con, oublier tes kilos en trop. T'es pas con, tu sais que ça n'a aucun sens. Tu sais que t'es en train de te foutre en l'air, de te détruite. Mais tu t'en fous. T'en as plus rien à faire du regard des autres. Mais dans les yeux de Cody, y'a aucun jugement. Elle te jugera jamais. Et peut-être qu'au fond, elle est comme toi. Peut-être que derrière son sourire qui te coupe le souffle neuf fois sur dix, elle est brisée. Vous êtes pas si différentes elle et toi. Tout le monde souffre, tout le monde finit par souffrir. C'est comme ça et même si tu l'acceptes pas, tu fais avec. Tu vis avec. Tu survis avec. "Non j'lui dirais rien." Ca te rassure. Mais au fond, qu'est-ce qui pourrait dire ? Il est plus là. Il peut plus se permettre de te faire la morale comme avant. "Tant mieux." C'est tout ce que tu trouves à répondre.
Les choses ont changé, tu t'en rends compte. Avant t'étais qu'une gamine. Mais maintenant, tu sais que tu pourrais peut-être lui plaire à Cody. Tu sais aussi que c'est l'alcool qui te fait espérer. D'habitude t'es réaliste. Mais pas aujourd'hui, pas ce soir. Non, ce soir t'as envie de penser que tes kilos perdus peuvent la faire tomber pour toi. T'as envie de penser, t'as envie de croire que tes efforts ne sont pas vains. Tu bois une nouvelle gorgée, tire une nouvelle latte. Le barman vous regarde de loin mais il dit rien. Il s'en fout, tant que vous consommez. Peu importe vos âges respectifs. Tu montres une toute nouvelle facette de ta personnalité à Cody. Quelque chose qu'elle avait jamais eu l'occasion de voir. Tu finis ton verre, ça te brûle la gorge, l'estomac et tu fermes les yeux un instant. "Un autre, s'il te plaît." Il essaie de protester mais tu lui souris doucement. "Allez, sois gentil." Et tu sais bien qu'il peut pas te résister. T'es une garce manipulatrice. T'uses de tes charmes parce que tu sais que tu fais de l'effet. Tu te dégoûtes. "Et toi jolie Cody, qu'est-ce que tu fais là ?" Tu lui souris. Jolie Cody ? Putain, t'es bourrée.

T'as que seize ans putain. T'es qu'une gamine. Et tu fous déjà ta vie en l'air, comme si t'étais condamnée. On te croirait malade, mourante. Et peut-être que tu l'es. Peut-être que tu l'as toujours été. Peut-être que t'es pas faite pour vivre cette vie-là. T'en sais rien. Tu te sens pas à ta place. Tu t'es jamais vraiment sentie à ta place. Y'a toujours quelque chose qui cloche. Le bonheur c'est éphémère. La souffrance semble éternelle. Tu sais pas comment on peut forcer des gens à vivre ça. Encore et encore. Pendant des années durant. Toi ça fait que dix-sept ans que t'es sur terre et t'en peux déjà plus. T'es déjà crevée, t'as atteint tes limites. Alors comment ils font ces gens là, ceux qui se battent au quotidien pour un semblant de bonheur, pour un sourire maladroit ? Tu sais pas. Et t'as pas envie de le savoir. T'as plus envie de chercher à comprendre. Tu te dis que parfois, mieux vaut vivre dans l'ignorance. On sait pas de quoi est fait demain.  
C'est vrai, t'en sais rien. Peut-être que tu seras plus là. Peut-être qu'en sortant du bar complètement torchée, tu te feras renversée par une voiture, un bus, un avion. Peut-être qu'un toilette spatiale va te tomber sur la tronche après le crash d'une fusée. Peut-être que t'as déjà trop bu et que tu commences à penser de la merde. Tu bois une gorgée de plus. Et puis y'a Cody. Être avec elle c'est comme une bouffée d'air frais. T'as le cœur qui bat plus vite, les sens aiguisés, t'es attentive au moindre de ses sourires, à chaque geste qu'elle peut faire. C'est plus de l'amour, c'est de l'obsession. T'as mis un temps avant de reconnaître ce que tu ressentais pour elle. Et maintenant que c'est fait, t'as juste l'impression que c'est pire. Elle pourrait t'arracher le cœur et le serrer dans ses mains, y planter ses ongles que tu trouverais rien à redire.  
"J'veux arrêter de penser." Tu l'observes, tu dis rien.Elle commande deux verres. Tu finis le tien cul-sec. Vous êtes pitoyables. Tu te sens légère, bien. T'oublies l'espace d'un instant que tu te feras vomir en rentrant, soi-disant pour évacuer l'alcool, éviter la gueule de bois. Tu sais que très bien que c'est faux mais tu continues de te mentir. C'est plus simple comme ça. Vaut mieux ça. T'écrases ton mégot  dans le cendrier improvisé que le barman t'as apporté. Tu rallumes une clope avant de poser ton paquet sur le bar. "T'en veux une ?" Ça doit être la dixième de la journée. Plus le joint de toute à l'heure. Mais elle peut pas te faire la morale. Elle a pas le droit parce qu'elle est pareille que toi. Peut-être même pire. "On se connaît depuis longtemps toi et moi en fait." Tu souris. "Déjà quand j'avais dix ans je te trouvais super jolie." Tu tires sur ta clope, bois une gorgée. Tu sais pas pourquoi tu lui dis ça. Tu devrais pas. Tu vas finir par souffrir. Trop tard. "Je voulais te ressembler. Au final, je ressemble à Jay sans de la barbe, c'est pas très glorieux." T'éclates de rire. Tu sais, le rire incontrôlable. T'es fatiguée, encore alcoolisée de la veille peut-être. Tu repenses au passé, à Cody, et ça te fait sourire. Ça te fait du bien. Mais ça te tue, à petit feu.  

Tu devrais pas la regarder comme ça. Tu devrais pas. Pourtant, tu peux pas t'en empêcher. Elle est superbe, magnifique. Tu manques d'adjectifs. Elle te coupe le souffle, te fait perdre la raison. T'as l'impression de trahir Jay. T'as l'impression de te trahir. Tu devrais pas ressentir ça pour Cody. Tu devrais pas avoir envie de l'embrasser ni même de caresser sa peau. Mais c'est plus fort que toi. Quand t'es avec elle, tu perds tes moyens. Et maintenant que t'as bu, que t'es pas loin d'être torchée, tu sais que tu peux plus reculer. Alors tu la regarde, tu l'observes, tu l'admires. Et t'oublies, l'espace d'un instant, votre passé commun. T'as envie que ce soit une inconnue, une fille de passage. Elle tire sur sa clope et toi tu tuerais pour en être le filtre. Tu donnerais tout pour un peu plus que de l'amitié. Juste un regard, un peu de désir. Tu l'observes, tu te perds. Tes yeux glissent sur son corps, t'es en train de perdre la tête. Elle te fait perdre la raison.
Alors quand elle pose sa main sur ta cuisse, t'as le cœur qui loupe un battement. Tes yeux se posent un moment sur ses doigts, tu comprends pas vraiment ce qui se passe. Tu relèves la tête, l'observe un instant. Y'a un truc de différent. Elle te regarde plus comme avant. Et une fois de plus, tu goûtes à l'espoir. C'est doux et amer à la fois. "De quoi tu te plains, t'es aussi parfaite que lui." Tu déglutis, tu peux pas t'empêcher de sourire. Tu sais bien que c'est faux, qu'elle est aussi torchée que toi, qu'elle aura oublié demain. "T'as rien du tout à m'envier tu sais." Si elle savait. Si elle savait ce que tu ressens pour elle. Ce que tu serais prête à faire pour un peu d'attention. T'aimes pas savoir qu'elle se dévalorise. Toi tu la trouve magnifique. T'es peut-être pas objective mais peu importe. Tu finis ton verre, en commande un autre, tire sur ta clope. Tout se passe très vite et tu comprends plus rien. T'es perdue.
T'es bourrée. T'es plus toi-même. Tu devrais t'en aller, partir. Tu sais que ça va mal se finir. Tu vas en souffrir. Mais bordel, elle est comme une bouffée d'air frais. Tu te sens vivante pour la première fois depuis des mois. Tu souffres mais t'es anesthésiée. C'est mieux que de la morphine, mieux que de l'adrénaline. L'espoir. "Moi, je te trouve parfaite." Tu lui souris doucement. Un sourire enjôleur. Celui que t'as l'habitude de faire. Mais dans ton regard, y'a autre chose. On peut y lire le désir. Parce que oui, tu la désire. Et c'est pas nouveau. Alors tu poses ta main sur la sienne. Tu sais pas trop pourquoi. T'as envie de te dire que c'est réel. Qu'elle est vraiment là. "Je crois que j'suis gay." Tu lâches ça comme ça. "En fait, j'en sais rien. J'ai jamais embrassé qui que ce soit." T'as aucune idée de pourquoi tu lui dis ça. T'as envie qu'elle le sache, c'est tout. C'est la première fois que tu le dise à voix haute. Qu'est-ce que t'es conne parfois.  

Vous êtes un peu comme le feu et la glace. Tellement différentes. Elle te fait fondre, elle te rend folle. Tu sais pas si c'est son sourire, son rire ou simplement la simplicité qu'elle peut dégager. A bien réfléchir, elle sans doute loin d'être aussi parfaite que tu le penses. Elle a des défauts, comme tout le monde. Comme toi. Mais c'est le fait qu'elle cherche pas à les gommer qui la rend si belle. Elle est naturelle. C'est ce que t'aimes chez elle. T'as arrêté de penser. T'as oublié qu'elle est la meilleure-amie de ton frère. T'as oublié que c'est impossible qu'il se passe quoi que ce soit entre vous deux. T'as tout oublié. C'est peut-être mieux comme ça. Paraît que l'espoir fait vivre mais que l'attente fait mourir. Alors, de la savoir là, la main sur ta cuisse, ça te fait quelque chose. Tu devrais pas espérer plus que de l'amitié. Tu devrais te contenter de ce que t'as. Elle te torture. Elle le fait pas exprès. Elle est pas au courant. Tu lui diras jamais. Mais ce soir, t'as juste envie de te sentir aimée.
T'as la tête qui tourne, l'estomac dans les talons. Mais tu dis rien, tu profites de l'instant présent. T'es brisée, cassée, t'as le cœur en miettes, en mille et un morceaux. C'est pas de sa faute. C'est pas de la tienne. C'est comme ça, c'est tout. C'est une fatalité, un truc auquel t'as fini par t'habituer. Tu te mords la lèvre inférieure, tu tires sur ta clope, tu fermes les yeux un moment. Tu caresses sa main sans vraiment t'en rendre compte. C'est venu tout seul, presque instinctivement. Comme un vieux réflexe, une habitude à la con. C'est vrai que tu fais souvent ça avec ta meilleure-amie. Mais Cody, c'est différent. Ça a pas la même signification. Mais ça, elle le sait pas. Elle est pas obligée de le savoir. Elle le saura jamais. C'est ton petit secret. T'essaies de berner qui à part toi ?
Tu sais pas pourquoi tu lui as dis que t'étais gay. Ou que tu pensais l'être. C'est l'alcool qui a parlé. Tu te sens bête. Mais tu le gardes pour toi. Et puis sur le coup, ça te semblait logique. T'as envie qu'elle apprenne à te connaître, qu'elle voit en toi quelqu'un d'autre. T'es pas seulement la sœur de Jay. T'as une existence propre. Tu mérites qu'on te remarque. "Tu veux que j'te montre comment on fait ?" T'écarquilles les yeux. Tu t'y attendais vraiment pas. C'est presque inespéré. Tu sais pas quoi lui répondre, sur le coup t'es un peu perdue. Mais l'alcool prend vite le dessus et tu te rapproches doucement d'elle. "Parce que toi, tu sais comment on fait ?" Tu souris, c'est de la provocation. T'aimes provoquer. T'adores ça. Mais quand t'es bourrée, c'est pire que tout. Tu te mords la lèvre inférieure. T'arrives plus à la quitter du regard. Tu devrais pas. Mais tu peux plus reculer.  

Ça va trop loin. T'as jamais pensé que ça irait jusque là. Tu t'es rapprochée, tu le regrettes. Ton cerveau te crie d'arrêter, ton cœur te supplie de continuer. Le deuxième finira en morceaux d'ici demain matin. Tu sais que c'est une mauvaise idée. Tu sais que tu devrais arrêter, que tu devrais te raisonner. Mais t'y arrives pas, t'y arrives plus. L'alcool t'empêche de faire la part des choses, de contrôler ce que tu ressens. Elle joue avec toi. T'es qu'un objet de plus qu'elle jettera le lendemain. Elle va se servir de toi pour oublier. Comme tu peux te servir de l'alcool. Tout ça tu le sais. Et ça te brise le cœur quand t'y penses. C'est pour ça que tu préfères arrêter de penser. C'est jamais bon de trop réfléchir. Pourtant, parfois, tu devrais. Elle a la main sur ta cuisse, qu'elle finit par caresser doucement. Ca te fait frissonner. Ca te espérer un peu plus. Elle te trouve attirante, elle te désire. Tu peux le lire dans ses yeux. Et même si que le temps d'une nuit, bah ça te va. T'en demanderas pas plus. T'en crèveras, sans doute. Mais tu lui demanderas rien d'autre.
T'es pas aveugle, tu sais bien qu'elle en pince pour quelqu'un d'autre. Tu sais pour qui. T'essaies de pas y penser. T'essaies de nier l'évidence. Parce que ça te tue, ça te fait trop de mal. Tu veux pas le détester d'avantage, tu veux pas lui en vouloir pour quelque chose d'aussi futile. Il a rien demandé. Il a rien fait. C'est toi le problème. Tu te demandes ce qu'il a de plus que toi. Il est loin d'être parfait mais c'est son imperfection qui plaît. Toi tu l'aimes comme ça ton grand-frère. Alors pourquoi t'es incapable d'aimer tes défauts comme tu peux aimer ceux des autres ? C'est illogique. Tu comprends pas. Et tu supportes pas de pas comprendre. T'as besoin de réponses à tes questions mais t'en as pas. T'es fatiguée de tout ça.
"Oh oui." Sur le coup tu souris. "Je sais très bien faire même. J'ai de l'expérience." Mais intérieurement tu crèves un peu plus. Avec combien de personnes elle a couché exactement ? T'as envie de vomir, tu te sens pas bien. Tu sais pas si c'est l'alcool ou le chagrin, tu définiras ça demain. Pour le moment, t'essaies de pas y penser, d'oublier. Alors tu plonges ton regard dans le sien, tu t'y noies un court moment. Pourquoi elle est aussi belle ? Et même si elle l'était pas, tu l'aimerais quand même. Y'a qu'avec toi-même que t'es superficielle. Les autres, tu les aimes comme ils sont, inconditionnellement la plupart du temps. Alors elle vient frôler tes lèvres et toi tu te laisses faire. T'as le cœur qui bat la chamade, qui va exploser. Elle se recule et ça te tue. Elle a pas le droit de faire ça. "Moi aussi je sais jouer." Murmures-tu, un léger sourire accroché aux lèvres. Si elle savait, elle arrêterait. Mais tu veux pas qu'elle l'ignore encore un peu. Tu la provoque, tu t'approches d'elle. Ta main glisse sur sa joue, tu te perds un instant, t'oublies le temps qui passe. Et tu l'embrasses. Des garçons, t'en as déjà embrassé. T'as peut-être mentit, profité de la situation. Mais des filles, jamais. C'est la première. Et ça te rend tellement heureuse. Parce que tu l'aimes. Si tu savais.

Arrête, Grace. Arrête. Tu vas finir par en crever. Elle va finir par te tuer. Et peut-être que ce sera agréable cette nuit mais demain, au petit matin, tu seras plus rien à ses yeux. Tu redeviendras un vulgaire pantin. La gamine avec qui elle a grandit. Penser à toi, ça le dégoûtera. Elle voudra plus te voir, elle osera plus te parler. Elle va te rejeter, te détester, elle te regarder avec dégoût. Celui que tu ressens quand tu te regardes dans le miroir. Alors arrête, Grace. Parce que si tu continues, si tu mets pas un terme à ce qui est en train de se passe, ça va te bouffer. Les regrets, la haine. Et si Jay vient à l'apprendre, lui aussi il te détestera. Sa sœur, lesbienne. Qui couche avec sa meilleure-amie. T'imagines un peu ? Il t'en voudra. Il voudra plus de toi. Et cette fois-ci, il te laissera tomber. Pour toujours. Il te pardonnera jamais. C'est-ce que tu veux ? T'en sais rien, t'es perdue, paumée. T'as rêvé de ce moment pendant des années. Et maintenant que ça arrive, t'es plus certaine que ce soit ce que tu veux. T'es plus certaine de l'aimer. Réfléchis Grace, réfléchis. Mais tu peux pas. L'alcool, ce putain d'alcool.
Alors t'es là, à l'embrasser, en plein milieu du bar. Avec tous ces abrutis qui vous regarde, la mâchoire décrochée. T'y fais pas attention, t'as les yeux fermés, la main sur sa joue. C'est trop beau pour être vrai. T'as peur de mettre fin au baiser, t'as peur qu'elle soit plus là quand t'ouvriras les yeux. Alors tu te concentres, tu pries pour que ce soit pas un rêve ou pire, un cauchemar. Mais si c'est la réalité, alors tu sais que tu pourras plus reculer. Et ça te fait peur. Parce que c'est Cody. Parce que t'es raide dingue d'elle depuis des années. Parce que tu sais qu'elle voudra jamais plus d'une nuit avec toi. Parce que t'as toujours été persuadé que la personne avec qui elle doit être, c'est Jay. Même si ça te tue d'y penser, même si ça te rend dingue de les imaginer ensemble. Tu restes une sœur, une amie. Tout ce que tu veux c'est leur bonheur, même si ça doit passer par ton malheur. De toute façon, la joie, t'y as plus le droit. Autant qu'ils en profitent. La vie est courte. Tu t'en rends compte.
Elle répond à ton baiser et sur le coup ça t'étonne. Tu t'y attendais pas. Mais elle a bu. Elle se souviendra de rien demain matin. Toi t'es pas du genre à oublier, même avec trois litres dans le sang. Mais tu feras comme si de rien n'était. T'encaisseras, comme d'habitude. Si tu gâches ta vie, tu peux pas te permettre de foutre en l'air la sienne. T'es pas assez égoïste. Il paraît que quand on aime une personne, on doit savoir la laisser partir. Mais toi tu peux même pas. Parce qu'elle a jamais été à toi. T'approfondis le baiser mais tu te rends bien vite compte que vous êtes dans un bar bondé, qu'on vous regarde. C'est à contrecœur que tu romps le baiser, tu l'observes. T'es pas triste. T'es bourrée, t'es heureuse, t'es joyeuse. Et même si ton cœur est en train de lâcher prise, tu le sens pas. L'alcool c'est ta morphine à toi, t'oublies, tu sens plus la douleur l'espace d'un temps. Elle te quitte jamais vraiment, elle s'en va pas. Elle s'efface juste. "Et si on allait ailleurs?" Murmures-tu. T'aurais très bien pu t'excuser et t'en aller. Mais t'en es incapable. T'en as pas envie. Tu veux être avec elle. Tu veux savoir ce que ça fait que de l'aimer. Tu veux savoir ce que ça fait que d'être aimé. Même si c'est que pour une nuit.    

Elle va te briser. Elle va t'achever. Il restera plus rien de toi après cette soirée. Tu veux vraiment tout risquer, pour une seule nuit à ses côtés ? En temps normal, tu te serais enfuie. Mais là t'as trop bu. Tu sais plus ce que tu fais. C'est n'importe quoi. T'as plus le temps de réfléchir ou de penser. Tu peux plus reculer. T'as pas envie de la décevoir. T'as pas non plus envie d'être qu'un coup d'un soir. Mais t'espère rien, t'espères plus. Tu sais qu'avec elle, ça rime à rien. Elle va te briser tu vas la laisser faire. Parce que t'es Gracie, la gamine avec qui elle a grandit. La gamine qui est tombée amoureuse de la meilleure-amie de son frère. Une âme d'enfant dans un corps de femme. Pourquoi tu t'bats pas, pourquoi tu la laisse faire ? Elle en a rien à foutre de toi. Elle s'intéresse pas à toi. Elle est juste torchée. Elle est comme toi, brisée. Elle a besoin d'oublier. T'es son joint.
Tu sais que c'est insensé, idiot, complètement désespéré. Tu penses que croire, c'est pouvoir. Mais c'est pas le cas, ça l'a jamais été. C'est pas tes sentiments qui font de toi la fille que tu es mais ils y ont contribué. Et là, sans le savoir, elle est en train de te foutre en l'air. De réduire le peu de confiance en toi qu'il te reste. Et demain matin, quand tu te souviendras que tu lui as donné ta première fois, tu voudras crever. Plus que d'habitude. T'iras te saouler, te faire mettre une mine. La misère. Ce sera pire. T'essaieras de noyer tes démons mais bordel, ils savent nager. La seule personne qui est en train de couler ici, c'est toi Grace. Mais t'es aveuglée, tu t'en rends pas compte. T'as trop bu. Tu sais plus ce que tu fais. On te comprend pas. Même entourée, tu te sens désespérément seule. Tu rentres plus dans le moule. T'as plus envie d'essayer. Tu te mens à toi-même, tu finis par croire à tes mensonges. Mais ça durera qu'un temps.
"Ouais, viens." Elle se lève, t'entraîne avec elle. Tu te laisses faire, tu titubes. T'as aucune idée d'où vous pouvez aller. Tu vis encore chez tes parents. Et elle... Jay. Ouais, elle vit avec Jay. Et si tu le croises ? Il est peut-être pas là. Il sera sans doute pas là. T'espères, tu pries. Mais au fond tu t'en fous. T'as trop bu. Vous arrivez à l'appart, à la colloc comme t'aimes l'appeler. T'es plus très sûre. Mais t'as pas envie de reculer. T'as besoin de courage. Alors tu la regarde. Avant qu'elle ouvre la porte, tu la plaque contre cette dernière avec douceur. Tes yeux perçants dans les siens, t'as l'impression d'exister pour la première fois depuis des mois. Alors tu l'embrasses. Et t'oublies. T'oublies complètement. C'est un peu comme quand t'es avec Murphy, la douleur s'estompe un temps. Cody c'est ta morphine. Mais c'est aussi le poison qui circule dans tes veines.

T'es bourrée. T'as trop bu. Tu vas le regretter. Tu le regrettes déjà. Non, c'est faux. T'es euphorique. Tu penses plus qu'à elle. A ses lèvres. Tu donnerais tout pour l'embrasser encore et encore. Ne jamais te séparer d'elle. Doux rêves. L'espoir fait crever et tu le sais. Ouais, tu finiras bien par y passer, tôt ou tard. Elle est toxique. Tu sais pas si c'est son regard ou sa façon de bouger. Tu sais pas si c'est son passé ou le lien qui l'unit à ton frère. Ouais, peut-être que tu veux te venger de lui. Peut-être bien que tu veux lui faire payer le mal qu'il t'a fait. Même si au fond, tu sais bien qu'il a jamais voulu te blesser. Il a jamais pensé une seule seconde que son départ t'affecterais. Il a joué l'égoïste, il a fait la sourde oreille. Ou alors c'est toi, l'égoïste. Tu penses qu'à ta gueule en permanence. Surtout en ce moment. Tu te défonces, tu bois, pour oublier tes problèmes à la con. Mais des problèmes, y'a des gens qui en ont des plus graves. Tu dramatises tout parce que t'as envie qu'on te plaigne. T'as envie qu'on fasse attention à toi. Ouais, ce serait plus simple si c'était la seule explication.
Mais c'est pas ça. Non, au contraire, de l'attention, t'en veux pas. Tu te caches, tu fuis ta famille, tes amis. Tu traînes avec des gens qui te fournissent en cachetons, en herbe, en alcool. Ils font pas attention à toi. Quand t'es avec eux, personne te demande comment ça va. Tu pourrais bien crever demain que ça les importerait peu. Vous faites la fête, vous avec tous quelque chose à cacher ou à oublier. C'est pas horrible de ne pas se préoccuper les uns des autres. C'est une marque de respect. Parce que vous souffrez tous de quelque chose. Que ce soit d'un manque, d'un complexe, d'une maladie. Alors vous fêtez votre liberté, vous fêtez le fait que, pendant une putain de soirée, personne essaiera de savoir ce que vous pensez. C'est peut-être con comme raisonnement mais ça te va. Parce qu'au moins, eux, ils ont pas ce regard inquiet quand ils posent les yeux sur toi. Quand t'es trop bourrée et que tu retires ton haut, personne s'inquiète de trop voir tes clavicules ou même tes côtes. On te sourit, vous dansez. T'es libre.
Alors tu l'embrasses, tu l'embrasses jusqu'à perdre haleine. C'est ta bouffée d'air frais. Sans elle, t'as l'impression de suffoquer. Parfois même en sa présence, t'as l'impression que tu peux crever à tout instant. C'est ça l'amour ? C'est ce que c'est censé faire ? Toi ça te rend folle, ça te rend complètement tarée. T'aimerais ne plus jamais ressentir ça pour qui que ce soit. Mais ça s'contrôle pas. Alors t'as lâché l'affaire, t'as laissé tomber. T'façon, tu peux rien y faire. Elle passe ses bras autour de ton cou, le baiser s'approfondit. Mais elle finit par le rompre et ça te brise un peu plus. Sur le coup ça te fait rien, t'es comme anesthésiée. Mais attends demain. "Heureusement que tu m'as dis que t'avais jamais embrassé avant." Tu souris, c'est plus fort que toi. Tu te colles un peu plus contre elle. T'es jamais allée plus loin que ça, qu'un baiser. C'était avec des mecs, ils t'ont jamais attiré. T'avais juste besoin de te sentir normale. Mais fais-toi à l'idée, tu l'es pas. Ou c'est peut-être les autres qui sont différents. T'en sais rien. "J'ai jamais embrassé une fille." Précises-tu. T'aimerais la rendre jalouse, même une microseconde. "Tu me fais rentrer ou t'es du genre exhibitionniste ?" Et si Jay arrive. Tes lèvres frôlent les siennes. Attends demain, Gracie.