T'as mal au crâne. On appelle ça la gueule de bois. T'as l'impression qu'on essaie de te scalper. C'est plus des cernes que t'as mais des valises. Et elles sont pleines à craquer de vêtements à la con que tu mettras plus jamais. T'es fatiguée, éreintée, vidée. Les adjectifs manquent pour décrire l'état dans lequel tu te trouves. T'as encore la tête qui tourne de la nuit dernière. Si on te pique les veines, c'est de la vodka, du rhum ou de la tequila qui en sortira. T'as mélangé beaucoup trop d'alcools et c'était pas la meilleure idée. Mais sur le coup, t'as pas réfléchit.  T'as le cœur en vrac, en miettes. C'est qu'un organe, il est pas réellement brisé. Il bat toujours. Mais toi, t'as l'impression qu'il s'est arrêté depuis un bon moment. Tu le sens toujours battre mais ça t'empêche pas de te sentir inexistante. T'es un fantôme. T'es juste la fille gentille, un peu dévergondée. La fille qui embrasse tout le monde en soirée parce qu'elle a fumé un joint et qu'elle est complètement pétée.
Pourtant on dirait pas. T'as l'air d'une fille sage comme ça. T'es drôle, intelligente, plutôt jolie T'as des bonnes notes et des rêves plein la tête. T'as des tas d'amis, très peu d'ennemis. T'es mature, tu te prends pas la tête. Personne te trouve de défauts. Mais toi, tu fais que ça. Tu peux plus te regarder dans le miroir. Ca te donne envie de vomir. C'est pas venu comme ça, Tu sais plus quand ça a commencé exactement. Ca a commencé à te torturer, te tuer à petit feu. Et sans que tu t'en rendes compte, t'as commencé à sauter des repas. T'as commencé à te convaincre que la faim, c'est juste un état d'esprit, que ton corps en a pas vraiment le besoin. C'est à ce moment là que t'as lâché prise. Toutes les excuses sont bonnes pour oublier de manger. J'ai trop mangé ce midi, je dois réviser pour mon examen de demain, j'ai pas le temps, je sors avec des amis, j'ai déjà mangé.  Ouais, des excuses t'en as des tas. Pourtant, tu te trouves toujours autant pathétique, même après les cinq kilos perdus. Plus t'en perds, plus t'as besoin d'en perdre. T'es une éternelle insatisfaite.  
Ce midi t'as rendez-vous avec ton frère aîné. Lui il a rien remarqué. Il est trop occupé à faire sa vie de son côté. Tu lui en veux mais tu dis rien. C'est inconscient. Tu sais que quelque chose cloche mais t'as pas la force d'en parler. T'as plus la force. Alors tu fais semblant. Et ça marche. T'entres dans le restaurant, lunettes de soleil sur les yeux. Le soleil tape pas si fort mais déjà trop pour tes yeux fatigués. Il est déjà là et t'es en retard. Tu t'assois devant lui, retire tes lunettes avant de lui sourire doucement. T'es devenue douée à ce jeu des faux-semblants. "Excuse-moi du retard, j'étais occupée à réviser et j'ai pas vu le temps passer." Occupée à dormir dans la salle de bain d'un mec que tu connais même pas. "Tu m'en veux pas, hein ?" Comme si il pouvait t'en vouloir. C'est lui qui est partit, pas toi.

T'es pas sorti hier soir. C'est rare en ce moment. Tu sors souvent parce que t'aimes bien t'amuser, passer du temps avec tes amis, prendre des cuites, fumer des trucs que tu devrais pas et t'aimes bien rencontrer des filles aussi. Tu passes une nuit ou quelques heures avec certaines d'entre elles et, ça te plaît, t'es content. Parfois, tu te dis que c'est con. Putain ouais, c'est con parce qu'y en a, elles veulent plus et y en a d'autres, elles pourraient avoir l'âge de ta petite soeur. T'aimerais pas qu'on traite Gracie comme ça. C'est con parce que, t'es pas un connard. Tu les laisses pas espérer, tu leur promets rien c'est juste qu'il y en a qui se font vla les films, qui pensent pouvoir te changer sauf que dans le fond, tu sais qu'y a que Cody qui peut faire pencher la balance.
Bref, tout ça pour dire que t'es pas sorti parce que le lendemain midi, comme la tradition l'oblige, tu manges avec ta frangine. T'adores ce moment et plus particulièrement depuis que t'as quitté la maison. Tu l'appelles, tu la vois mais, c'est différent. Vous ne vous supportez plus au quotidien et tu te dis que c'est mieux pour elle parce qu'au moins, elle t'a pas sur le dos, elle a plus de liberté. C'est ce que tu te disais jusqu'à ce que tu tombes sur l'une de ses photos instagram ce matin, au réveil. T'as froncé les sourcils et t'as eu un moment de silence, de réflexion. T'as fini par te mordre les lèvres, serrer les poings et t'avais juste une seule et unique envie : la tuer ou l'étrangler, tu ne sais pas trop encore. Mais tu vas réfléchir, y a pas de soucis à se faire là-dessus.

Alors ce midi, t'es venu un peu en avance. C'est juste que t'avais besoin de te familiariser avec les lieux encore un peu plus que d'habitude. C'est pas comme si vous alliez toujours au même endroit. Enfin si. Tu voulais te sentir bien dans ton élément quoi. Tu voulais arriver avant elle aussi. D'ailleurs, tu jetais un coup d'oeil à ta montre pour t'apercevoir qu'elle était en retard. T'avais pas envie de l'engueuler pour ça, y a plus grave. Y a carrément plus grave. Y a les joints par exemple. Putain, ça te saoule. Ça te donne envie de tout casser. Et puis finalement, elle arrive avec ses lunettes Grace. Elle s'installe en face de toi, elle te sourit, retire ses lunettes pour laisser place à des cernes qui la trahissent. Elle peut pas nier le fait qu'elle soit sortie hier Grace. Elle te sort qu'elle révisait et t'as envie de lui rire au nez mais à la place, tu prends sur toi et tu lui adresses un léger sourire. Non t'inquiètes et puis, j'étais un peu en avance. Tu hausses les épaules et jettes un oeil à la carte. Tu la prends dans tes mains pour faire comme si de rien était. Tu révisais pour quelle matière ? Vas-y mens Grace. Essaie juste de mentir.

Ça sonne faux. Tout sonne faux. T'as beau te voiler la face, t'as beau faire comme si de rien n'était, t'es pas complètement stupide. Tu vois bien que tout ça, ça rime plus à rien. Mais t'aimes bien te raconter des mensonges. T'aimes te noyer dans les faux-semblants. C'est plus facile de prétendre que d'être réellement. Quand est-ce que t'es devenue comme ça ? Des mois. T'as arrêté de compter. En fait, pour être honnête, t'as jamais vraiment tenu les comptes. T'es comme ça, c'est tout. C'est une fatalité. Tu peux rien changer. T'as appris à survivre, c'est tout ce que tu peux faire. C'est pas des lunettes de soleil qui cacheront tes cernes. C'est pas un sourire qui cachera ta peine. Mais si ça peut illusion le temps d'un repas, alors tu vas sourire, tu vas rire, tu vas manger. Tu sais très bien qu'après t'iras vomir. Tu sais très bien que tu rentreras ce soir et que t'iras pas manger, que tu sortiras en douce pour aller à cette soirée dont t'as entendu parler. T'es devenue un déchet.  
Tu peux te battre, prétendre, faire semblant, encaisser, sourire, rire, mourir. Ça changera rien. T'as jamais été aussi forte que tu le prétends. C'est vrai, t'es capable de te prendre des coups et de te relever. Tu restes jamais à terre. Mais plus le temps passe et plus ça devient difficile. T'as les genoux écorchés de tomber. Tu tiens plus debout. Tu sais même pas comment tu fais quelques fois. Pourtant, t'es là, à sourire à celui que t'aimes appeler l'homme de ta vie. Tu donnerais tout pour lui. Alors pourquoi tu te fous en l'air comme ça ? Sans lui, t'es perdue. Et depuis qu'il est partit, t'as plus l'impression d'être à ta place. T'as jamais eu l'impression de l'être mais ça a empiré avec son départ. Tu le détestes. Tu l'aimes. Tu lui en veux. Et pourtant tu le comprends. Toi aussi, si tu le pouvais, tu partirais loin de tout ça. Tu referais ta vie.
"Non t'inquiètes et puis, j'étais un peu en avance." T'es rassurée. Tu remarques pas qu'il est différent. T'as pas encore compris. Tout le monde ment et toi t'es trop naïve pour le remarquer. Ou encore trop alcoolisée de la veille. T'as mal au crâne. Tu sais pas si c'est le joint que t'as fumé ou les shots que tu t'es enfilée. Tu prends la carte, tente de lire les plats. Tu te contenteras d'une salade, la plus légère possible. "Tu révisais pour quelle matière?" Pourquoi ça l'intéresse ? Tu relèves la tête, l'observes quelques secondes. "Français." Tu te mords la lèvre, observe la carte, faisant mine d'être indécise. "Je l'ai pris en option, je trouve ça intéressant." Tu mens qu'à moitié. Tu sens ton téléphone vibrer dans ta poche. C'est sans doute les photos de la soirée. Tu comprends pas pourquoi Jay a l'air si froid. Tu laisses tomber. T'as pas envie d'y penser. Tout le monde a ses problèmes. Lui comme toi. "Ça se passe bien la colocation?" T'essaies de cacher ton amertume. T'essaies de faire comme si ça te faisait pas chier. Et t'essaies surtout de changer le sujet, ne pas parler d'hier soir. T'aimes pas lui mentir. Pourtant, tu fais que ça.  

Tu ne peux pas t'empêcher de penser à ce qu'elle a pu faire de sa soirée. Gracie, tu la vois encore comme une enfant qui te demande d'attraper des bonbons à sa place parce qu'elle est trop petite pour atteindre la cachette des parents ou encore qui te supplie de lui apprendre à faire ses lacets parce qu'il y en a pleins dans sa classe qui savent les faire et qu'elle a peur d'être en retard sur les autres. Grace, c'est un bébé qu'il faut protéger coûte que coûte, tu ne veux pas la laisser grandir, tu ne veux pas la voir en pleine crise d'adolescence, encore moins fumer des joints ou tourner autour des garçons. Tu veux qu'elle reste cette petite chose fragile, innocente que tu te dois de protéger, même ignorante si c'est pour la préserver.

Tu te dis que c'était peut-être qu'une erreur. C'est peut-être une fille qui lui ressemble énormément. Le truc, c'est que c'est ta soeur et que tu la reconnaîtrais entre mille. Tu ne peux pas te tromper et la confondre avec quelqu'un d'autre. Alors, t'espères que c'était juste pour essayer ou encore mieux, qu'elle tenait le joint pour l'une de ses copines. Ouais, t'aimerais bien qu'elle n'ait jamais posé ses lèvres sur cette merde. Tu sais à quel point c'est difficile de s'en débarrasser par la suite. Elle est pas comme ça Grace. C'est une fille bien. Elle n'a pas pu faire une connerie de ce genre. C'est ce que t'aimes chez elle d'ailleurs, le fait qu'elle ne soit pas comme toi. T'as pas envie qu'elle se noie dans la même spirale que la tienne. Tu voudrais bien qu'elle termine ses études, qu'elle s'amuse sans pour autant faire n'importe quoi de sa vie, qu'elle trouve un homme bien et qu'ils finissent par se marier avant d'avoir des enfants. Bref, faut qu'elle fasse les choses bien Grace parce que tous tes espoirs reposent sur elle.

Elle arrive en retard. Tu ne lui en veux pas. Tu lui dis que c'est pas grave et tu poses tes yeux sur le menu. Tu te risques tout de même à lui demander quelle matière elle révisait ce matin parce que toi, t'y crois pas trop. Tu te mords la lèvre, t'écoutes ses propos derrière ta carte. Elle dit que c'est le français. Mouais, il t'en faudra plus que ça. Elle ajoute qu'elle l'a pris en option parce que c'est intéressant. Elle a toujours été intelligente et cultivée ta soeur alors là-dessus, tu veux bien la croire. Et, qu'est-ce que t'as appris de nouveau ? Tu ne peux pas t'empêcher de poser des questions. C'est plus fort que toi. C'est pour ne pas péter les plombs et lui gueuler dessus. Elle change de conversation Grace. Elle te demande comment se passe la coloc et tu hausses les épaules en reposant la carte. Ouais, ça se passe bien. Tout le monde va bien. On se bat un peu pour savoir qui fait à manger ou encore qui débarrasse mais sinon, ça va ! Tu ne sais pas trop quoi le dire. Tu sais qu'elle le fait exprès pour éviter un sujet de conversation qui la dérange. Elle le fait souvent ça Gracie.

Pourquoi tu lui mens ? T'as pas à lui mentir. T'es une grande fille, il a plus rien à te dire. Il peut plus te contrôler comme il le faisait avant. Mais tu sais qu'il a besoin de toi. Qu'il a besoin de savoir que tout va bien. Que t'es pas en train de foutre ta vie en l'air, comme lui il a pu le faire. Il a de l'espoir, des attentes. Tu peux pas le décevoir. Même si lui, il s'est pas gêné pour se casser. T'es peut-être un peu rancunière ou un peu perdue, tu sais plus trop. Tu vois bien qu'il a l'air suspicieux, pas comme d'habitude. Tu sais pas pourquoi. Tes parents sont pas au courant, il connait pas tes amis. Pas ceux avec qui tu te torches en tout cas. Pas ceux qui te fournissent l'herbe. Ou les cachetons. Non, il les connaît pas ceux-là. Tu comprends pas. Mais tu laisses filer, t'as pas envie de te prendre la tête. Ca te vient pas à l'idée que lui aussi, il peut être sur les réseaux sociaux. Sur le coup t'y penses pas. Jay il a pas le temps pour ça. Jay c'est un gars occupé, pas un branleur. T'es aveugle.
C'est pas de ta faute. T'as envie de croire que tu peux te cacher indéfiniment. Que tes conneries te rattraperont pas. Que tu feras jamais une overdose. Que t'abuseras jamais assez de l'alcool pour ne plus te réveiller. T'as envie de croire que tu contrôles tes conneries mais ça fait longtemps que tu sais plus ce que tu fais. Tout ça, ça t'as dépassé. C'est devenu une addiction. Ouais, t'es accroc à cette vie-là, à la débauche. T'as besoin de boire pour arrêter de penser, de fumer pour oublier, d'avaler pour planer. C'est du bonheur artificiel, de l'euphorie synthétique. Ça t'apportes rien, ça te rend juste un peu plus pitoyable, un peu plus malheureuse. Mais sur le coup, dans le feu de l'action, tu penses jamais aux conséquences. Quand est-ce que t'as arrêté de réfléchir, Gracie ?  
T'es dans le déni. Tu t'en sortiras pas indemne. Mais t'aimes penser, t'aimes croire que t'es plus intelligente que tous les autres junkies que tu fréquentes, tous ces cœurs brisés. Ils ont tout perdu, ils ont plus rien. Tu vaux mieux qu'eux. Non en fait, t'es une moins que rien. Tu t'en rends compte. Mais tant que t'arrives à faire semblant, c'est que ça va. T'ignores sa question, t'orientes le sujet vers la coloc. T'as pas envie de parler de français. T'as plus envie de mentir pour aujourd'hui. "Ouais ça se passe bien." T'espérais presque le contraire. "Tout le monde va bien." Tu penses à Cody et ton cœur s'emballe. "On se bat un peu pour savoir qui fait à manger ou encore qui débarrasse mais sinon, ça va !" Tu te mords la lèvre. T'essaies de contrôler ce que tu penses mais ça sort tout seul. "C'est bien, depuis que t'es plus là, j'ai plus à me battre avec qui que ce soit pour ces choses-là." C'est sortit un peu sèchement. T'as oublié de réfléchir. Tu le regardes un instant avant de finalement poser la carte. Tu t'en fous qu'il voit à quel point t'es fatiguée. Il vaut pas mieux que toi. Il a plus rien à te dire. Pourquoi tu le provoques ? T'en sais rien. Tu te contrôles plus. Tu tapotes nerveusement sur la table. T'aimerais bien aller fumer une clope. Histoire de décompresser. T'essaies de berner qui, lui ou toi ?  

clairement, ça t'énerve. tu essaies de rester calme et de rien laisser paraître. tu sais parfaitement que grace, elle est en train de te mentir. tu t'étais toujours dit que c'était quelque chose dont elle était incapable. après tout, c'est ta petite soeur. t'as toujours tout fait pour elle, t'as toujours répondu présent que ça soit pour l'aider comme pour l'écouter. tu t'es dit qu'elle te confiait tout, qu'elle avait confiance en toi comme tu avais confiance en elle. ok, toi aussi t'as tes secrets, comme le fait que t'es raide dingue de cody et que tu n'es pas foutu de lui avouer mais le truc, c'est que toi-même tu ne t'en rends pas compte. du coup, tout ce qui te passe par la tête même la chose la plus inutile du monde, tu lui racontes et elle, elle te cache des trucs. elle te raconte pas qu'elle fait le mur pour sortir en douce la nuit parce que, tu sais que si votre mère n'y verrait sans doute aucune opposition, votre père en revanche, il risque de péter les plombs si grace elle demande à sortir. elle te dit pas qu'elle fume des joints. peut-être que c'était le premier mais, c'est tout de même quelque chose qu'on partage avec son frère non ? tu te rends compte que peut-être que vous n'êtes pas assez proches...

c'est à ce moment-là que grace, elle te dit qu'elle n'a plus ce problème parce que tu n'es plus là. tu n'as jamais vraiment parlé de ton départ avec elle parce que tu t'es toujours dit que ça lui plairait. elle aurait un autre endroit pour s'évader. elle aurait son indépendance et tu arrêterai de lui tomber dessus H24. t'as toujours vu le bon côté des choses et puis, elle pouvait venir te voir quand elle le désirait. tu n'as jamais remarqué que peut-être, ce changement l'affectait. tu ne t'es jamais demandé ce que ça lui faisait d'être toute seule à la maison avec des parents plutôt étranges, on ne va pas se mentir. tu prends ça comme une attaque, comme un reproche. tu te mords la lèvre et finalement, tu te risques à lui demander : je t'en prie, fais-moi par du fond de ta pensée ! aller gracie, prends ton courage à deux mains et dit lui ce que tu ressens au plus profond de toi. c'est tout ce que t'attends quoi, qu'elle dise quelque chose, qu'elle s'exprime. tu veux l'entendre même si elle doit crier. tu sais que tu vas surement en faire de même mais, tu t'en fiches. tu veux qu'elle parle, qu'elle t'explique. tu veux savoir ce qui la pousse à faire n'importe quoi. tu ne veux pas qu'elle gâche sa vie. encore moins par ta faute. tu poses le menu et tu croises les bras sur la table dans l'attente d'une explication de sa part.

Il est là. Il fait comme si de rien n'était. Comme si il s'en foutait. Comme si le fait que vous soyez séparés après dix-sept ans de vie commune, ça le fasse pas chier. Tu sais pas si il joue vraiment bien la comédie ou si il en a juste rien à foutre. Est-ce que tu peux vraiment lui en vouloir, si c'était le cas ? C'est un grand garçon, il fait ce qu'il veut. Toi, à ses yeux, t'es qu'une gamine. Une petite peste qui s'amusait parfois à faire de sa vie un enfer. C'est vrai qu'il était souvent sur ton dos, que tu pouvais rien faire. Mais c'était ton grand-frère. Et maintenant, c'est devenu un inconnu avec qui t'échanges des banalités tous les mercredi. Tu sais pas vraiment pourquoi tu le déteste, pourquoi tu lui en veux. Peut-être parce qu'il a tout et que toi, t'as rien. Il a des amis, il a Cody. Ouais, c'est surtout elle le soucis. C'est ton frère mais tu peux pas t'empêcher de le détester parfois. Elle l'aime, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Et lui, il réagit pas. Il saisit pas, il se rend pas compte de la chance qu'il a.
Parce que toi, si tu pouvais, si t'étais à sa place, tu donnerais tout pour que Cody soit amoureuse de toi. Tu ferais tout pour la rendre heureuse. Tu passerais pas ton temps à coucher à droite et à gauche, tu t'occuperais d'elle. Mais c'est pas toi qu'elle a choisit. Et est-ce qu'on choisit vraiment ces choses là ? T'en es pas certaine. T'as pas voulu tomber pour Cody. Pourtant, tu t'es bien cassée la gueule. Tu t'es brisée les genoux. Et t'as beau essayé de te relever, t'y arrives pas. Parce que t'es pas prête à te relever, t'es pas prête à l'abandonner, t'en as pas envie. Parce qu'elle est la seule chose à laquelle tu t'accroches maintenant. Elle devrait pas. Et toi, tu devrais pas l'aimer. Mais c'est pas de ta faute. Tu penses trop, t'as mal au crâne. Tu sais pas si c'est la gueule de bois, les cachets, les joints ou la faim. Peut-être juste la culpabilité qui te ronge, qui te tue à petit feu.
"Je t'en prie, fais moi part du fond de ta pensée." Il pose le menu, croise les bras. Tu le regardes un instant. Il attend quoi au juste ? Que tu te mettes à crier ? Tu hausses un sourcil, t'oses pas soutenir son regard. Alors tu te contentes de regarder le menu. Tu sais très bien que ton repas finira dans les toilettes, que tu mangeras pas pendant trois jours. Mais ça, lui, il en a foutrement aucune idée. Parce qu'il s'est tiré, qu'il t'a abandonné. Il t'a laissé avec vos parents. Et il s'étonne après que tu puisses lui en vouloir. Tu finis par poser le menu, plonge ton regard dans le sien et esquisse un sourire. "Je pense que je vais prendre une salade. J'ai pas très faim. Et toi ?" T'as jamais été comme ça avec lui. Tu le provoques, tu le testes. Tu veux savoir à quel point il t'aime. Tu veux savoir qu'au fond, il a encore besoin de toi. Parce que toi, sans lui, t'es plus rien. Et peut-être qu'au fond, t'as jamais été grand-chose de plus qu'une gamine à ses yeux. Tu te contiens, tu pleures pas. Pourtant, t'en crèves d'envie. Merde, ça va finir par te tuer. La culpabilité.

Tu regardes ta soeur. Tu poses tes coudes sur la table qui vous sépare, tu croises les bras et tu attends. Tu attends qu'elle te donne des explications. Tu veux connaître le fond de sa pensée. Parce que dans sa voix, y a tout un tas de reproches qui se font sentir et toi, tu ne peux pas t'excuser. Tu ne peux pas l'aider à aller mieux parce que tu ne sais pas ce qui la tracasse. Tu attends donc qu'elle te raconte. Tu ne sais pas trop de quoi elle va te parler. Tu espères secrètement qu'il s'agit de la soirée d'hier soir. Tu croises les doigts pour qu'elle te raconte tout comme ça, tu n'auras pas besoin de jouer au gars relou, au grand frère trop protecteur. T'as pas envie d'être ce genre de type bien que tu l'as toujours été. A la place, elle se lance dans la recherche d'un plat et, elle repose les yeux sur toi, large sourire collé au visage. Je pense que je vais prendre une salade. J'ai pas très faim. Et toi ? Tu fronces les sourcils davantage. Tu ne veux pas de ça. Tu veux pas qu'elle change de conversation comme ça. C'est une pro en la matière Grace. Tu la connais par coeur. Tu ne vas pas prendre qu'une salade quand même ?! Sérieux, c'est bien pour l'entrée ! Tu lèves les yeux au ciel. Faut qu'elle mange Grace. Faut vraiment qu'elle mange parce qu'en plus, c'est bon pour la gueule de bois. C'est ça que tu devrais lui dire à ta petite soeur. Tu devrais aussi lui rappeler que toi aussi, ça t'arrives et que c'est ni la première, ni la dernière fois sauf qu'elle est trop jeune pour que ça. Ce n'est pas encore son heure. Ça viendra plus tard. Grace, si t'as quelque chose à me dire sérieux, fais-le. J'aime pas quand tu gardes des choses pour toi ! T'es son frère après tout.

Et tu cours. Tu cours comme si ta vie en dépendait. Tu fuis. Tu retiens ta respiration. T'es essoufflée. Tu fuis tout ce qui pourrait te rendre heureuse. L'amour, l'amitié. Tu te contentes de peu parce que t'es effrayée à l'idée de sentir autre chose que cette douleur qui écrase ton cœur. Tu donnerais tout pour ne plus jamais avoir à réfléchir. Tu donnerais tout pour ne plus jamais avoir à mentir. T'as le cœur en miettes, c'est vrai. Tu sais pas vraiment pourquoi. Peut-être à cause de Cody. Elle te regarde jamais. Pas comme tu le voudrais. Non, c'est Jay qu'elle regarde comme ça. Et toi, ça te tue. T'aimerais agir comme si t'en avais rien à faire, comme si ça te faisait rien. Mais c'est en train de te tuer. Tu sais pas ce qu'il a de plus. C'est un type bien, un mec génial. Pas un dépressif raté comme toi. Peu importe ce qui lui arrivera, il trouvera toujours un moyen de s'en sortir. C'est pas le genre à baisser les bras. Contrairement à toi.
Tu te détestes. T'es une sœur horrible, une amie exécrable, une fille horrible. Pourtant tu te plains jamais. T'es toujours souriante même quand la seule chose dont t'as envie c'est de pleurer. Tu parles pas de tes problèmes. Tu les noies dans l'alcool. Tu fais comme tu peux. T'essaies de t'en sortir. Mais t'y arrives pas. Ca fait trop mal. Alors tu prends des trucs plus fort. Tu planes le temps d'une soirée, ça te fait oublier. La douleur ne s'en va pas tu sais. C'est juste un peu de morphine, c'est comme si tu mettais un pansement sur une hémorragie. C'est inutile. T'iras jamais mieux Gracie. Pas comme ça. Mais tu veux pas le savoir. Tu veux te persuader que tout ira bien un jour. Tu te voiles la face. Tu te couvres de mensonges. T'es de ceux qui rêvent, qui ont besoin de s'échapper. Mais t'as peur, t'es effrayée. Et si tes rêves ne se réalisaient jamais ?
"Tu ne vas pas prendre qu'une salade quand même?!" Un pincement au cœur. Tu dis rien, tu continues de sourire. "Sérieux, c'est bien pour l'entrée !" T'aimerais qu'il arrête. Pourquoi il se sent obligé de relever ça. Qu'est-ce que ça peut foutre de toute façon. Il lève les yeux au ciel, t'as l'impression qu'il te déteste. Ça te brise un peu plus. Tu donnerais tout pour t'en aller. "Grace, si t'as quelque chose à me dire, sérieux, fais-le." Tu te mords la lèvre inférieure. Tu sais pas quoi lui dire toi. Tu sais plus. "J'aime pas quand tu gardes des choses pour toi." Pourtant, lui, c'est le roi des petits secrets. Tu inspires profondément. Pourquoi il tient tant à ce que tu te confies ? T'en as pas envie. C'est inutile. Il est plus là. Il est partit. Il t'a laissé seule. Tu te sentais déjà seule quand il était encore à la maison. Mais maintenant, c'est pire que tout. T'as l'impression de crever un peu plus chaque jour. Il était ton seul repère. "Qu'est-ce que ça peut te foutre ?" Tu hausses même pas la voix. C'était plus un murmure qu'autre chose. Tu le regardes droit dans les yeux. Y'a un mélange de tristesse et de haine dans ton regard. Y'a du désespoir. Tu souris plus. "On se voit une fois par semaine. Et encore, c'est quand t'as le temps." Lâches-tu froidement. "Alors viens pas me demander ce que j'ai, fais pas comme si ça te faisait quelque chose." T'aimerais que le serveur arrive. Tu voudrais que ça se termine rapidement. "T'es plus là, Jay. Alors viens pas me faire la morale." Et t'aimerais t'enfuir, courir loin de tout ça. Oublier une nouvelle fois. Tout recommencer.  

Tu ne peux pas t'empêcher de remarquer que quelque chose cloche chez ta petite soeur. Tu la connais quand même. Peut-être pas si bien qu'avant mais, tu la connais un minimum pour savoir qu'elle te cache quelque chose et cette fois-ci, tu as une preuve à l'appui alors, tu attends qu'elle t'en dise davantage. D'abord, elle évite le sujet en t'annonçant qu'elle va commander une salade. Toi, ça te choque un peu parce qu'une salade, c'est rien. Elle va avoir la dalle Gracie avant ça. Elle sourit en guise de réponse et puis, elle lève les yeux au ciel suite à ta remarque. Après tout, elle est grande, elle fait ce qu'elle veut. Toi, tu soupires et tu esquives un léger sourire parce qu'après tout, vous n'allez pas vous engueuler pour une salade. Tu poses les coudes sur la table, tu oublies le menu et tu te lances sur une pente glissante. Tu sais que tu vas rencontrer des obstacles parce que Grace, elle a son petit caractère mais, tu veux en savoir davantage. Tu veux qu'elle t'explique. Tu veux qu'elle te parle tout simplement parce que c'est ce que font les frères et soeurs. Tu lui rappelles qu'elle peut tout te dire, qu'elle n'a pas besoin te cacher certaines choses parce que toi, t'as peut-être une grande gueule, les secrets, tu sais les garder et encore plus lorsqu'il s'agit de la famille. Tu veux juste retrouver cette complicité que vous aviez dans le passé, lorsque tu étais encore à la maison. Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Tu fronces légèrement les sourcils. Putain, elle t'a jamais parlé comme ça Grace. Normalement, elle te dit tout. Normalement, ça sert à ça les mercredi et puis, elle continue en te regardant et toi, tu restes sans voix. Tu ne sais plus quoi dire lorsqu'elle lance que c'est qu'une fois par semaine et que t'en as rien à foutre de ce qu'elle peut avoir à dire ou de ce qu'elle peut traverser. Y a une boule qui se force dans ta gorge et t'as du mal à déglutir. Putain, ta petite soeur. A tes yeux, t'as toujours été présent pour elle. Elle peut t'appeler à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, tu seras toujours là, tu répondras toujours présent. C'est ta soeur et pour elle, tu ferais tout et n'importe quoi. Tu lui décrocherai la lune si elle te le demander, tu te mettrai tout le monde à dos, tu crèverai pour elle, tout simplement. Et pourtant, elle reste là et elle te balance que tu n'es plus là. Tu passes une main dans tes cheveux, nerveusement avant de t'enfoncer dans ta chaise pour réfléchir à ce que tu pourrais bien répondre à cela. Je... Je voyais les choses comme ça... Tu marques un temps de pause. Jamais t'aurais pensé qu'il se passait autant de choses dans cette petite tête brune. Gracie, j'ai jamais voulu que tu vois les choses ainsi ! Je veux dire, je ferais tout pour toi et je serais toujours présent pour toi ! Tu ne peux pas agir comme un grand frère chiant qui se prend pour son père, tu veux être le frère parfait, le grand frère peut être un peu trop protecteur mais toujours présent pour elle. En quittant la maison, je voyais pas les choses de cette façon. Je pensais que ça te ferait plaisir d'avoir toute l'attention des parents du moins, le peu d'attention qu'ils sont capable de donner à eux deux réunis. Je pensais que tu serais heureuse de ne plus avoir à me supporter H24 sachant que parfois, c'est vrai que je peux être étouffant. Grace, je suis là d'accord ? C'est pas parce que je suis plus à la maison que tu ne peux pas venir me voir tous les jours si ça te chante et puis, tu sais que tu peux m'appeler à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. T'as l'impression que ça ne suffit pas. Ton discours n'est pas juste. T'as pas les mots. Elle t'a prise de court et tu te retrouves comme un con, la vérité en pleine face, difficile de l'admettre. Dis-moi juste quoi faire ! Tu la supplierais presque. Tu veux qu'elle voit que t'es sincère et que tu ferais n'importe quoi pour elle.